18 octobre 2021
La commission scolaire English Montreal (CSEM) a demandé à la Cour d’Appel du Québec la permission d’engager des enseignantes et des enseignants portant des signes religieux, conformément au jugement Blanchard de la Cour supérieure d’avril 2021. Rappelons que le juge Blanchard avait conclu à la non-validité de l’interdiction de porter un signe religieux par les enseignants des écoles anglophones du Québec et que plusieurs groupes ont porté cette décision en appel. La demande d’exécution provisoire de la CSEM est, dans ce contexte, plutôt étonnante et cela, pour trois raisons.
Présomption de la validité des lois contestées
À défaut de démontrer des dommages sérieux ou irréparables, les lois contestées jouissent toujours de la présomption de leur validité en attendant que les tribunaux se prononcent sur leurs fondements. Ainsi, bien qu’Ichrak Nourel Hak, appuyée par le Conseil national des musulmans canadiens et l’Association canadienne des libertés civiles, avaient tenté de démontrer de tels dommages au moment de la mise en œuvre de la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) en 2019, la Cour supérieure du Québec avait rejeté leur requête le 18 juillet 2019. Il est alors présumé que l’État a adopté cette loi, au même titre que toutes les autres lois, au nom de l’intérêt public. Insatisfaits, les contestataires ont porté cette décision en appel. Le 12 décembre 2019, la Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour supérieure en rejetant la demande de sursis des articles interdisant le port de signes religieux, le temps qu’un tribunal se penche sur le fond.[1]
En avril 2021, la Cour supérieure émettait un jugement sur le fond et ouvrait une porte aux écoles anglophones pour tenir compte de l’article 23 de la Charte canadienne sur les droits à l’instruction dans la langue de la minorité. Une fois de plus, de nombreux groupes ont porté cette décision en appel. Le jugement sur la validité de la Loi 21 n’est donc pas arrêté.
Demande tardive
Dans sa demande de sursoir l’application des articles portant sur l’interdiction du port de signes religieux pour les écoles anglophones, la CSEM fait valoir des préjudices importants. Or elle n’avait pas semblé les considérer suffisamment sérieux ou irréparables pour se joindre à la contestation d’Ichrak Nourel Hak en 2019, lors de la mise en oeuvre de la Loi 21. Qui plus est, le Procureur général du Québec et le Mouvement laïque québécois (MLQ) qui s’opposent à cette demande d’exécution provisoire, font valoir que la CSEM peine à démontrer que les conditions cumulatives requises, pour obtenir une telle mesure exceptionnelle, soient remplies. Ces conditions impliquent la démonstration que le jugement ne soulève aucune question de droit importante, que les préjudices allégués sont sérieux voire irréparables et que la balance des inconvénients est de leur côté.
L’article 23 de la Charte
Les droits prévus à l’article 23 de la Charte canadienne, et invoqués par la CSEM, sont conférés aux parents appartenant à un groupe linguistique minoritaire. Or, l’interdiction du port de signes religieux par les enseignants n’empêche pas les enfants de parents issus de la minorité anglophone du Québec de recevoir les services éducatifs dans leur langue. La CSEM fait valoir la nécessité de représenter la diversité culturelle dans ses écoles. Or, ses activités de sensibilisation aux différentes cultures ainsi que le port de signes religieux par ses élèves et leurs parents ne sont pas visés par la Loi 21.
Qui plus est, la CSEM n’a présenté aucun témoignage de parent demandant l’exécution provisoire du jugement Blanchard en faveur des écoles anglophones. Par contre, le MLQ vient de déposer celui d’un parent d’élèves de cette même CSEM qui, lui, demande l’application de la Loi 21. Ce témoignage s’ajoute à ceux de nombreux autres parents, déposés à la Cour supérieure, qui s’opposent au port de signes religieux par les enseignants. Pour eux, ces signes représentent des valeurs contraires à l’éducation morale qu’ils veulent pour leurs enfants.
Clairement, l’acharnement de la CSEM à contester la Loi 21, dûment adoptée par l’Assemblée nationale, vise davantage la défense de l’expression religieuse des enseignants, que la protection de la liberté de conscience des parents et des enfants qu’elle dessert. Son action est d’autant plus troublante, qu’elle est financée par des fonds publics. Il sera intéressant de connaître le jugement de la Cour d’appel du Québec concernant la demande de la CSEM.
[1] Radio-Canada; Loi sur la laïcité : la Cour d’appel maintient les articles clés; 12 décembre 2019; https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1430787/laicite-port-signes-religieux-contestation-cour-appel (page consultée le 28 janvier 2021).