Jour 4 & 5 : Laïcité, ce qu’en disent les experts des plaignantes (suite)

 7 novembre 2020

Il est intéressant de constater les « œillères » des experts choisis par les plaignantes pour étoffer leur contestation de la validité de la Loi sur la laïcité de l’État (ou Loi 21) en Cour supérieure. En voici d’autres exemples :

  1. Jocelyn Maclure

Expert en fondements philosophiques, Jocelyn Maclure occulte complètement tout lien entre la laïcité et l’égalité entre les sexes. Rappelons que l’Égalité de tous les citoyens et citoyennes est l’un des quatre principes de la Loi 21 qui guident la limitation du port de signes religieux par certains fonctionnaires. Or, Jocelyn Maclure est silencieux sur le fait que les vêtements religieux sont, à quelques exceptions près, résolument différenciés pour les femmes et pour les hommes et qu’ils véhiculent tous un statut social et des valeurs différentes, ce qui exacerbe leur caractère sexiste. Il fait également fi des déclarations sous serment de parents qui s’inquiètent de l’impact sur la perception de l’égalité entre les sexes que leurs enfants pourront développer à côtoyer quotidiennement des femmes voilées dans une école publique. [i]

Depuis plus de 20 ans, Jocelyn Maclure refuse d’analyser l’impact de l’expression religieuse, dans les services publics, sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Il va sans dire que son analyse est, dans ce contexte, incomplète.

  1. David Gilles 

À la demande du World Sikh Organization of Canada, l’expert en histoire du droit David Gilles a décrit les contextes historique et législatif ayant abouti à l’adoption de « l’Acte sur les Rectories » de 1852 dans les territoires correspondant géographiquement au Haut-Canada et au Bas-Canada avant l’Union Act de 1840. On y parle de l’héritage constitutionnel britannique religieux transposé au Canada, de l’établissement du cadre normatif religieux après la Conquête et de la mise en forme du corpus normatif dans le contexte des Haut- et Bas-Canada après l’Acte constitutionnel. Mais rien sur l’histoire moderne du Québec ayant mené à la « Révolution tranquille » et à l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État. Pourquoi ? Difficile, dans ce contexte, se saisir la pertinence de l’étude de David Gilles dans le débat actuel.

  1. Richard Bourhis 

Selon l’expert en psychologie sociale Richard Bourhis, « le gouvernement du Québec demande aux femmes musulmanes et aux hommes juifs et sikhs de laisser au vestiaire leurs signes religieux pendant les heures de travail ». Or la Loi 21 vise tous les fonctionnaires en position d’autorité portant des signes religieux, indépendamment de leur religion ou de leur sexe. C’est donc plutôt la disparité du port de signes religieux entre les sexes dans les différentes religions qui fait en sorte que la loi pourrait avoir un impact différent sur les femmes ou sur les hommes. Dans la religion musulmane, par exemple, ce sont les femmes qui portent davantage de signes religieux visibles (ex. le hijab). Pourquoi ne pas l’avoir souligné ?

Une grande partie du rapport de Richard Bourhis porte aussi sur la catégorisation sociale « eux-nous »; le « eux » étant les Juifs, les Musulmans et les Sikhs et les « nous », la majorité nationale québécoise française. Or, le « eux » est loin d’être un groupe homogène. Les Québécoises et Québécois de culture musulmane ont, par exemple, des opinions divergentes quant à la laïcité de l’État. Dommage que Richard Bourhis n’ait pas tenu compte, dans son analyse, des mémoires déposés en commission parlementaire par des représentants et des associations de culture musulmane appuyant l’interdiction du port de signes religieux par les fonctionnaires de l’État,  tels : l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (PDF, 1 017 ko), Amitié Québec-Kabylie (PDF, 1 Mo), Djemila Benhabib et Louise Mailloux (PDF, 832 ko), Nadia El-Mabrouk (PDF, 1 Mo) et Leila Bensalem, Hassan Jamali (PDF, 473 ko) , Samuel Chérubini (PDF, 757 ko) ainsi que la quarantaine de Québécoises d’origine musulmane signataires de la Lettre collective aux féministes québécoises s’opposant à l’interdiction du niqab [1] ou le manifeste public cosigné par une trentaine de personnes de foi musulmane qui allait aussi dans le même sens :

« [ … ] Nous déplorons le détournement de la foi musulmane par les courants de l’islam politique [ … ] Leurs stratégies identitaires et leurs interprétations rigides des obligations religieuses entraînent inévitablement un repli identitaire qui compromet l’épanouissement des musulmans dans les sociétés occidentales [ … ][2] »

Les prémisses de son analyse semblent donc, dans ce contexte, non fondées.

  1. Solange Lefebvre

Solange Lefebvre, experte en théologie et en pratiques et courants religieux explique dans son rapport que si des groupes ou courants religieux recommandent, prescrivent ou adoptent le port ou l’usage de symboles ou de signes religieux par leurs adeptes, leurs doctrines ne discourent que peu à leur sujet. Les croyants ordinaires adoptent des pratiques sans qu’elles soient nécessairement prescrites par les autorités de leur religion ou courant religieux. Cela corrobore les témoignages de Ichrak Nourel Hak, de Bouchera Chelbi et de Messaouda Dridj, qui ont toutes dit à la Cour supérieure avoir choisi de porter le hijab. Il aurait été intéressant que Solange Lefebvre parle de l’impact de retirer un signe ou un vêtement religieux, pendant les heures de travail, sur l’appartenance religieuse des croyants. Comment cela se passe-t-il dans les pays laïques ayant des exigences semblables ? Sont-elles exclues de leur Église ? Est-ce que cela affecte leur appartenance religieuse ? On pourrait en douter, puisqu’il s’agit d’un choix.

Il est aussi intéressant de constater que Solange Lefebvre mentionne que les signes religieux sont notamment portés pour démontrer, exprimer ou communiquer des valeurs ou un message à son entourage, mais elle est silencieuse sur l’impact de cette communication. Quelle est l’influence de ce signe sur des personnes inféodées dans une relation d’autorité ?

Ces études ont toutes un point commun : elles manquent de rigueur et occultent de grands pans de vérité afin de servir les revendications des plaignantes.


Sources : 

[1] http://plus.lapresse.ca/screens/39a6d1b1-225c-4ac6-8a99-211a08140950__7C___0.html

[2] HASSAN JAMALI, MOUNIA AIT KABBOURA, NOOMANE RABOUDI, et une trentaine de personnes dont la liste est sur le Web, Manifeste pour un islam de liberté et de citoyenneté, Le Devoir, 21 fév. 2017.

[i] Soit les déclarations sous serment de parents déposées par le Mouvement laïque québécois et Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec).