18 novembre 2020
Les deux experts du Mouvement laïque québécois (MLQ) sont venus témoigner cette semaine, en Cour supérieure, sur l’éthique professionnelle requise, de la part des enseignantes et des enseignants, pour favoriser l’apprentissage et protéger la liberté de conscience des élèves dans une société laïque. Ce faisant, ces experts considèrent que l’intérêt de l’enfant impose un devoir de réserve concernant l’ « affichage » des convictions religieuses du corps professoral. Voici, plus spécifiquement, leur analyse :
Georges-Auguste Legault : spécialiste en éthique professionnelle
Selon M. Legault, la confiance que l’on a envers un professionnel est une condition sine qua non de la qualité de la relation. Dans le milieu de l’enseignement, cette confiance se développe et s’établit dans la relation entre l’enseignante ou l’enseignant, ses élèves et leurs parents. Or, la force symbolique du signe religieux, qui repose sur des dogmes et des relations humaines stéréotypées, et que porte le personnel enseignant peut engendrer la méfiance des élèves ou des parents.
Selon l’expert, plus l’écart entre les perspectives religieuses de l’enseignante ou de l’enseignant et celles des parents qui veulent élever ou non leurs enfants dans une croyance particulière est grand, plus les craintes augmentent. Cette analyse est corroborée par les témoignages qu’ont faits des parents (dont plusieurs de culture musulmane) à la Cour à l’effet que la conception de la femme et des rapports homme-femme véhiculés par certains signes religieux les heurtent profondément.
De plus, la justification des décisions prises dans la relation éducative exige des enseignantes et des enseignants une capacité de réflexion critique sur les valeurs en jeu. Le port d’un signe religieux peut soulever des doutes sur ces valeurs dans les décisions et la capacité d’en discuter avec les parents. Ainsi, pour cet expert en éthique professionnel, indépendamment de la Loi 21, les enseignantes et les enseignants de l’école publique ne devraient pas porter de signes religieux.
Ces propos, axés sur le bien-être et la réussite de l’élève, plutôt que celui des enseignantes et des enseignants, ont été lourdement questionnés par les opposants à la Loi 21. Les questions éthiques (ou droits des enfants à un espace neutre pour leur liberté de conscience) n’ont pas semblé émouvoir la Cour.
Jacques Beauchemin : spécialiste en sociologie du Québec et en éthique sociale
Pour l’expert Beauchemin, il est très clair que la Loi 21 est l’aboutissement d’un long processus qui inclut la création d’un ministère de l’Éducation, la déconfessionnalisation des commissions scolaires et la refonte du curriculum. Pour lui, ce cheminement reflète une considération grandissante des Québécois pour le pluralisme de la société et une volonté de neutraliser les intentions spirituelles que pourraient avoir les Églises sur les jeunes esprits non consentants. L’État reconnaît ainsi aux parents le droit d’offrir à leurs enfants un enseignement non-confessionnel, respectueux de leur liberté de conscience et de celle de leurs enfants. L’élève est maintenant au cœur du système d’éducation québécois.
C’est à la lumière de ce cheminement historique vers la sécularisation du Québec que l’expert Beauchemin a, par la suite, analysé les différentes déclarations sous serment des demanderesses réclamant de pouvoir arborer leurs signes religieux dans le cadre de leur enseignement et celles des parents soutenant la Loi pour le respect de leur liberté de conscience et de celle de leurs enfants. Pour les demanderesses, la Loi 21 concerne d’abord les enseignants alors que pour les parents en faveur de la Loi 21, elle concerne avant tout l’élève et la communauté des étudiants québécois.
Selon M. Beauchemin, depuis le « compromis Parent », la tâche de l’enseignant est de se mettre au service de la communauté étudiante, traversée par la diversité et le pluralisme. Or, le signe religieux peut avoir des significations différentes selon le bagage des parents et des élèves, il n’est jamais neutre. Pour lui, le port d’un signe religieux peut susciter des désaccords et des malaises entre l’enseignante ou l’enseignant et les parents et leurs enfants, qu’il importe de tenir à distance de l’école pour le succès du programme pédagogique.
Les opposants à la Loi se questionnent, pour leur part, sur la différence entre un enseignant provenant d’une minorité visible (par la couleur de sa peau ou par un handicap par exemple) et celui qui porte un signe religieux. Ils taisent le fait que dans un cas, il s’agit d’une caractéristique intrinsèque de la personne, alors que dans l’autre, il s’agit d’un choix. Ne devraient-ils pas, selon eux, être tous accueillis pour favoriser la diversité et l’intégration des enfants qui y appartiennent ? Ils ne semblent pas accepter l’analyse de M. Beauchemin qui explique la lourde charge émotive des valeurs véhiculées par les signes religieux et le choix du Québec pour une société sécularisée. Le refus de retirer un signe religieux dans le cadre d’une profession très spécifique laisse supposer que pour le porteur, la « loi de dieu » prime sur la « loi des hommes ». Difficile, dans ce contexte, de parler d’un vivre ensemble harmonieux.
J’ajouterais enfin que l’État québécois a aussi comme valeur fondamentale l’égalité entre les femmes et les hommes et que l’école a la responsabilité de la mettre en pratique. Tolérer des symboles religieux sexistes arborés par des enseignantes et des enseignants qui constituent des modèles et des figures d’autorité pour des jeunes serait contradictoire et nuirait à l’intégration pleine et entière des élèves à la société, ces citoyens en devenir.