30 novembre 2020
Ont débuté aujourd’hui, et ce pour les prochaines deux semaines, neuf plaidoiries tentant d’invalider la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21), à savoir celles de :
- Ichrak Nourel Hak, Conseil national des musulmans canadiens et Association canadienne des libertés civiles;
- Canadian Human Rights Commission and Quebec Community Groups Networks (présentée en anglais seulement)
- Amnistie internationale, section Canada francophone
- L’Alliance de la fonction publique du Canada
- World Sikh Organisation of Canada et Amrit Kaur
- Lord Reading
- Fédération autonome de l’enseignement
- Andréa Lauzon, Hakima Dadouche, Bouchera Chelbi et le Comité juridique de la coalition inclusion Québec
- English Montreal School Board, Mubeenah Mughal et Pietro Mercuri
Je décrirai et commenterai toutes les plaidoiries « anti-laïcité » au fur et à mesure de leur présentation. Voici la première :
- Ichrak Nourel Hak, Conseil national des musulmans canadiens et Association canadienne des libertés civiles
Leur plaidoirie ne porte pas sur le principe de la laïcité, mais plutôt sur les limites de la constitution canadienne. Pour eux, en limitant l’accès à des postes de la fonction publique à certaines minorités, la Loi 21 met en péril la structure ou la nature de notre constitution : un peu, disent-ils, comme si le fédéral décidait unilatéralement de changer les fonctions du Sénat, de rétablir la peine de mort ou la torture ou encore, comme si une province décidait de mettre fin à tout débat public ou permettait les tueries de rue. Ce type de changement leur apparaît tellement fondamental qu’ils le voient comme compromettant l’essence même du Canada. Ils arguent que la clause nonobstant ne peut pas s’appliquer dans de tels cas, car il s’agit d’éliminer des droits ou des protections démocratiques clés. La constitution canadienne va au-delà de la Charte canadienne. À les entendre, on croirait que la Loi 21 vise l’interdiction du port de signes religieux à l’ensemble des Québécoises et des Québécois, en tout temps et partout en société. Rien sur le fait que cette contrainte soit limitée dans le temps (pendant les heures de travail) et à un nombre limité de postes de la fonction publique et ce, de façon à favoriser le vivre ensemble basé sur les valeurs fondamentales du Québec (soit la langue française, l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la laïcité de l’État).
Qui plus est, ils arguent que le Québec n’a pas la juridiction nécessaire pour adopter une telle loi. Pour eux ce type de loi relève du Code criminel attendu que son objectif principal est d’ « éliminer le respect de la religion dans les institutions publiques, afin de protéger les valeurs que le gouvernement considère comme fondamentales pour l’État québécois ». Ces opposants à la Loi 21 estiment que la protection des préceptes moraux et des valeurs sociales constitue un objectif établi du droit pénal et est donc, de ce fait, de juridiction fédérale. Au vu d’une telle définition, on comprend mal que le code civil qui régit les personnes et les rapports entre les personnes, des valeurs sociales donc, soit encore sous juridiction provinciale ! Si on suit leur raisonnement, le fédéral serait le gardien de la moralité et des valeurs sociales. On est loin de la reconnaissance de la nation québécoise par le gouvernement fédéral en 2006.
Ensuite, alors que des experts en droit comparatif ont salué la définition des signes religieux de la Loi 21, ces mêmes opposants arguent qu’elle n’est pas valide parce que trop vague. Voici ce que dit la loi :
Au sens du présent article, est un signe religieux tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef, qui est :
1° soit porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse;
2° soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse.
Pour eux, le “raisonnablement considéré” cause problème car il est difficile de distinguer, par exemple, un signe religieux d’un signe culturel ou patrimonial, ce qui pourra éventuellement ouvrir la porte à une interprétation variable de la part des administrateurs d’école. Deux exemples sont donnés pour illustrer le caractère “imprécis” de cette définition : la longueur des cheveux des pratiquants sikhs et le port du jonc des pratiquants catholiques mariés. Vraiment ? Oui, l’intégrité de la chevelure fait partie de la croyance religieuse sikh, mais elle ne constitue pas un “objet” tel que défini par la loi. Pour ce qui est du jonc, selon les us et coutumes québécois, sa signification première apparaît davantage liée à l’engagement (puisqu’échangé aussi lors de mariages civils) qu’à une appartenance religieuse; les items 1 et 2 de la définition ne s’appliqueraient donc pas. Ce qui est bien, dans cette définition, c’est qu’elle fait appel au jugement de l’employeur et aussi, qu’elle permet une évolution dans le temps.
Ces opposants à loi considèrent également que la directive donnée au Conseil de la magistrature, d’établir des règles traduisant les exigences de la laïcité de l’État, enfreint leur indépendance judiciaire. Ils sont, de plus, d’avis que la clause nonobstant ne peut pas s’appliquer à l’obligation pour les députés de l’Assemblée nationale d’avoir le visage découvert puisque cela enfreint l’article 3 de la Charte canadienne quant au droit d’être éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.
Ils font aussi valoir qu’un gouvernement qui interdit le port de signes religieux est l’équivalent d’un gouvernement qui exige le port de signes religieux. Quel étrange argument. La laïcité de l’État, c’est l’organisation de la société fondée sur la séparation de la religion et de l’État. Elle vise un meilleur vivre-ensemble par l’offre de services neutres, sans influence politique ou religieuse, en tout respect de la liberté de conscience des citoyennes et des citoyens. C’est d’ailleurs pour cette neutralité que l’État impose, en toute légitimité, un uniforme aux policiers, aux avocats et aux juges dans le cadre de leur fonction tout comme il leur interdit, avec la Loi 21, le port de signes religieux.
Le Juge a posé plusieurs questions pour mieux comprendre les arguments présentés, laissant ainsi supposer qu’ils n’allaient pas nécessairement de soi. Est-ce que ces opposants auront réussi à convaincre ?