Jour 19 : Plaidoiries des «anti-laïcité» (suite)

1er décembre 2020

Trois groupes ont présenté leur plaidoirie aujourd’hui pour faire invalider la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) :

  • Canadian Human Rights Commission and Quebec Community Groups Networks (présentée en anglais seulement)
  • Amnistie internationale, section Canada francophone
  • L’Alliance de la fonction publique du Canada

Tous ces organismes défendent le respect de l’expression de la liberté de religion des enseignantes et enseignants, mais aucun ne se préoccupe de l’impact des signes religieux, portés par ces employés de l’État, sur la liberté de conscience des enfants tenus captifs pendant toute l’année scolaire. Ils font fi du fait que toutes les témoins qui, comme eux, s’opposent à la Loi 21, ont aussi dit que leurs signes religieux servaient également à exprimer des valeurs ou à envoyer un message à leur entourage. Lorsqu’elles réclament le droit de porter des signes religieux à l’école publique, elles réclament en fait, de pouvoir continuer à transmettre des valeurs et des messages spécifiques. Lorsqu’il s’agit de valeurs religieuses, cela s’appelle du prosélytisme. Rappelons que chaque enseignante ou enseignant entrera directement en contact, au cours de sa carrière (sur 30 ans), avec, en moyenne, quelque 900 élèves au primaire et 3,600 au secondaire. Ne convient-il pas, dans un tel contexte, d’appliquer le principe de précaution et de protéger avant tout la liberté de conscience des enfants particulièrement vulnérables à cet âge?

Tous ces organismes prétendent que la loi est discriminante envers les deux sexes attendu que dans certaines religions, ce sont les femmes qui portent davantage de signes religieux alors que dans d’autres, ce sont les hommes. Ils soulèvent donc l’article 28 de la Charte canadienne pour invalider le recours à la clause dérogatoire. Vraiment ? C’est plutôt la disparité du port de signes religieux entre les sexes, préconisé par les différentes religions elles-mêmes, qui fait en sorte que la loi pourrait avoir un impact différent sur les femmes ou sur les hommes. Ce n’est pas la loi qui discrimine, mais les exigences religieuses sexistes. Et ce n’est pas le rôle de l’État de réguler ces exigences. Son rôle, voire son devoir, c’est de veiller à ce que ses institutions soient neutres et exemptes de sexisme, afin d’atteindre l’égalité de faits entre les femmes et les hommes comme le Québec s’y est engagé en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF).

Enfin, d’aucuns ne mentionnent l’évolution historique de la société québécoise vers une plus grande sécularisation en ayant sciemment choisi de privilégier les valeurs citoyennes communes, soit la langue française, l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la laïcité de l’État), plutôt que les droits individuels. On est loin de la reconnaissance de la nation québécoise, avec ses spécificités propres, par le gouvernement fédéral en 2006.

Dans leur argumentaire, ces organismes « anti-laïcité » ont notamment fait valoir les points suivants :

  1. La Loi 21 viole les Chartes canadienne et québécoise puisque le choix des vêtements est protégé par la liberté d’expression (que disent-ils des uniformes imposés à différentes professions ?) et que l’intégration du principe d’égalité entre citoyennes et citoyens dans la Loi 21 présuppose des jugements moraux concernant certains symboles religieux ce qui est inacceptable au vu de la liberté de religion protégée par nos Chartes. Ces organismes refusent, en fait, que l’on aborde l’impact des symboles ou vêtements religieux sexistes sur la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes auprès des élèves. Enfin, ils prétendent que la Loi établit une discrimination systémique envers les minorités religieuses, ce qui présuppose qu’il y a davantage de « rigoristes » (i.e. refusant de retirer leurs signes religieux pendant les heures de travail) parmi les adeptes de religions minoritaires que ceux de religions majoritaires.
  1. L’acte est inadmissiblement vague et arbitraire et ne définit, ni ne limite, les violations des droits. Ils aimeraient avoir une définition ou une liste plus précise des signes religieux à proscrire, plutôt que de laisser aux employeurs le soin de déterminer si le signe « est raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse » afin d’éviter des traitements différenciés et un stress inutile pour les employés touchés. Est-ce si difficile d’identifier un signe religieux ? Ces employeurs n’ont qu’à consulter les manuels des cours Éthique et culture religieuse, obligatoires dans nos écoles depuis plusieurs années, pour se guider et éliminer l’arbitraire.
  1. La Loi est contraire aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Ces opposants plaident que le Québec devrait davantage se fier aux Conventions onusiennes (incluant les recommandations du Comité des droits de l’homme de l’ONU actuellement dirigé par l’Égypte) plutôt que de s’inspirer des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui agit comme un tribunal et accorde une grande flexibilité dans la façon dont chaque pays ou région choisit de mettre en oeuvre la laïcité de l’État en fonction de ses valeurs propres.
  1. La Loi 21 créerait une pression indue sur les employés fédéraux qui travaillent au Québec dans des postes similaires et ce, même si la loi 21 ne s’applique pas à eux. Est-ce réaliste ? À ce qu’on sache, les entreprises sous juridiction fédérale installées au Québec n’appliquent toujours pas la loi 101. Pourquoi serait-ce différent pour la Loi 21?
  1. La Loi 21 viole la protection des droits de la minorité anglophone. C’est à se demander depuis quand le port de signes religieux ou le multiculturalisme à la canadienne sont devenus des caractéristiques de la communauté anglophone à protéger.