Jour 21 : La FAE redéfinit, dans sa plaidoirie, la réalité et remet en question notre modèle démocratique

3 décembre 2020

La Fédération Autonome de l’Enseignement (FAE) est le septième organisme à présenter sa plaidoirie contre la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21). Elle a débuté son intervention en réinterprétant, à sa manière, les différentes preuves soumises, à savoir :

  • que les témoins ordinaires en faveur de la Loi 21 faisaient partie de la communauté majoritaire alors que, dans les faits, 4 des 5 parents venus témoignés étaient de culture musulmane;
  • que le témoin ordinaire et l’experte de PDF Québec auraient affirmé que l’on se trouve en présence « d’une épidémie d’accommodements déraisonnables »;
  • que les résultats de l’étude de Paul Eid auprès de vingt jeunes femmes portant le voile pouvaient s’appliquer à l’ensemble des membres de la communauté musulmane du Québec, et ce, malgré que l’experte de PDF Québec ait expliqué que les jeunes filles à qui on impose le voile ne participaient que très rarement à ce type d’études;
  • que la liberté de conscience des enfants n’était pas affectée par une enseignante voilée, malgré les témoignages contraires de cinq parents, laissant présumer que ce serait plutôt ces derniers qui porteraient atteinte à la liberté de conscience compte tenu de leur intolérance face au voile;
  • qu’il s’agissait d’une catho-laïcité, parce qu’on laissait la croix sur le Mont Royal;
  • que la laïcité de type républicaine est inacceptable puisqu’en conflit avec les droits de la personne, contredisant ainsi de nombreux jugements de la Cour européenne des droits de l’homme;
  • que Guy Rocher, le père de la Révolution tranquille, est dans l’erreur lorsqu’il affirme que la Loi 21 est l’aboutissement de la laïcisation du système scolaire québécois, arguant que c’est plutôt un sentiment d’islamophobie qui est à l’origine de la Loi 21;
  • que le débat sur Loi 21 est un débat entre le Eux et le Nous, le Nous étant la majorité catholique et le Eux, les minorités religieuses. La FAE choisit ainsi de fermer les yeux sur de nombreux témoignages démontant que les Québécoises et les Québécois de culture musulmane, par exemple, ne forment pas un bloc monolithique et ont des opinions divergentes quant à la laïcité de l’État.

La FAE poursuit en affirmant qu’il est important d’encadrer la démocratie, car « le pouvoir corrompt », et de contrer le populisme et la dictature de la majorité. La FAE préfère s’en remettre aux « gouvernements des juges », pour ce qui est de la protection des droits fondamentaux, et implore le Juge de faire l’histoire en invalidant le recours à l’article 33, c’est-à-dire à la clause dérogatoire. Pour appuyer ses dires, la FAE donne l’exemple des Tribunaux américains qui ont limité les atteintes aux droits de la personne du Président Trump et celui des Tribunaux canadiens qui ont fait de même dans l’affaire Omar Khadr sous le gouvernement Harper. La FAE suggère au Juge d’avoir de l’audace et de proposer un test à deux niveaux pour permettre le recours à l’article 33 à savoir : l’obligation de démontrer (1) un objectif réel et urgent ainsi que (2) les avantages qui en découleraient. Ce serait donc aux juges et non aux parlementaires élus, d’évaluer la pertinence des objectifs visés par les lois et les politiques. Avec une telle façon de penser, il n’est pas étonnant d’apprendre que la FAE n’ait pas cru bon consulter ses membres avant de contester la Loi 21, évitant ainsi le « populisme » de ses membres. Étonnant pour un syndicat.

Enfin, en s’opposant à la Loi 21, la FAE défend bec et ongles le respect de l’expression de la liberté de religion des enseignantes et enseignants, mais ne se préoccupe pas de l’impact des signes religieux sur la liberté de conscience des enfants soumis à leur autorité pendant toute l’année scolaire. La FAE fait fi du fait que tous les témoins qui, comme eux, s’opposent à la Loi 21, ont admis que leurs signes religieux servaient également à exprimer des valeurs ou à envoyer un message à leur entourage. La FAE affirme que les enseignantes portant des signes religieux agissent comme des modèles auprès des élèves. Lorsqu’il s’agit de valeurs religieuses, cela s’appelle du prosélytisme. Pourquoi la FAE ferme-t-elle les yeux sur cet aspect ? Rappelons que chaque enseignante ou enseignant entrera directement en contact, au cours de sa carrière (sur 30 ans), avec, en moyenne, quelque 900 élèves au primaire et 3,600 au secondaire. Ne convient-il pas, dans un tel contexte, d’appliquer le principe de précaution et de protéger avant tout la liberté de conscience des enfants particulièrement vulnérables à cet âge ?

Il est particulièrement désolant de voir la FAE faire fi de l’évolution historique de la société québécoise vers une plus grande sécularisation en ayant sciemment choisi de privilégier les valeurs citoyennes communes, soit la langue française, l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la laïcité de l’État.

[1] https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-11-24/loi-21-sur-la-laicite/vingt-et-un-profs-denoncent-la-position-de-leur-syndicat.php