5 décembre 2020
Les parents de culture musulmane qui ont défendu la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) en Cour supérieure font preuve de préjugés. Voilà ce qu’affirment les demanderesses Andréa Lauzon, Hakima Dadouche et Bouchera Chelbi, appuyées par le Comité juridique de la coalition inclusion Québec en Cour supérieure. Ces préjugés viendraient du fait que ces parents transposeraient leurs expériences personnelles, vécues dans leur pays d’origine, en contexte canadien, ce qui les rendrait réfractaires aux signes religieux.
Ainsi donc, ils devraient se taire. Vraiment ? Est-ce à dire que seules les personnes portant des signes religieux seraient justifiées de manifester leur ressenti à l’égard de la Loi 21 ? Les néo-Québécois en faveur de la laïcité devraient faire fi de leur vécu, de leurs convictions profondes et leur crainte du prosélytisme religieux pour leurs enfants ? Le Canada évolue-t-il en vase clos ou fait-il partie du monde ? Ne sont-ils pas aussi des citoyens québécois de plein droit ? Cette insensibilité est choquante !
Ce groupe « anti-laïcité » évoque trois raisons selon lesquelles l’atteinte à la liberté de conscience des enfants, alléguée par les parents, n’est pas suffisante pour justifier l’interdiction de signes religieux dans les écoles publiques : (1) le signe religieux n’affecte pas la qualité de l’enseignement; (2) aucun acte de prosélytisme actif n’a été noté; et (3) rien n’empêche les parents d’assurer l’éducation religieuse ou morale de leurs enfants. Or, ces parents ont expliqué qu’ils devaient taire leurs convictions profondes, à l’égard du voile par exemple, face à leurs enfants pour ne pas nuire à leurs relations avec l’enseignante. Ils ont clamé haut et fort à la Cour qu’ils s’opposent au port de signes religieux par le corps enseignant des écoles publiques, et plus particulièrement du hijab, signe d’infériorisation des femmes. Ils s’opposent à ce que leurs enfants soient exposés à la transmission de valeurs contraires à leurs convictions profondes et au principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Leurs préoccupations reflètent celles soulevées par le Conseil du statut de la femme (CSF) en 2007 [i] et en 2011 [ii], lesquelles avaient mené à la recommandation que soit interdit le port de signes religieux pour l’ensemble des membres du personnel de l’État dans le cadre de leur travail. Quant au personnel enseignant, le CSF rappelait que son « rôle consiste aussi à présenter aux élèves les valeurs fondamentales de la société, dont celles d’égalité entre les sexes, de liberté et de respect de la dignité humaine. Conséquemment, nous voyons mal comment une enseignante portant un tchador, par exemple, pourrait véhiculer un tel message. » [iii] Encore une fois, cette insensibilité de la part de ce groupe « anti-laïcité » est choquante !
Enfin, ce groupe rappelle l’importance des Tribunaux pour protéger les droits fondamentaux alléguant qu’ils sont le seul rempart des droits de la personne pour contrer le « populisme » des gouvernements dûment élus. L’histoire a la mémoire courte : n’est-ce pas la Cour suprême qui avait refusé de reconnaître, en 1928, les femmes en tant que personnes[iv]? Les féministes de l’époque avaient dû se rendre jusqu’à Londres pour que soit infirmée cette décision de la Cour suprême, ce qui leur a éventuellement permis d’accéder au Sénat. Enfin, puisque les gouvernements sont démocratiquement élus aux quatre ans, contrairement aux juges dont la nomination relève d’un processus pour le moins opaque, c’est à eux, à notre avis, que doit revenir la responsabilité ultime des choix de société et de la protection des droits.
Sources :
[i] https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis-droit-a-legalite-entre-les-femmes-et-les-hommes-et-liberte-religieuse.pdf
[ii] https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis-affirmer-la-laicite-un-pas-de-plus-vers-legalite-reelle-entre-les-femmes-et-les-hommes.pdf
[iii] https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis-droit-a-legalite-entre-les-femmes-et-les-hommes-et-liberte-religieuse.pdf , p. 131
[iv] https://www.canlii.org/en/ca/ukjcpc/doc/1929/1929canlii438/1929canlii438.html