Jour 28 – La laïcité de l’État : un socle du respect du droit à l’égalité entre les sexes

17 décembre 2020 

La Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) met un jalon de plus vers une réelle égalité des sexes. Voilà ce qu’est venue plaider en Cour supérieure Me Christiane Pelchat au nom de Pour les droits des femmes du Québec.

Me Pelchat, qui a été présidente du Conseil du statut de la femme de 2006 à 2011, a débuté sa plaidoirie par un bref rappel historique du difficile combat des femmes pour l’obtention du droit à l’égalité entre les sexes au Canada. Elle a ensuite justifié l’imposition de limites à la liberté de religion, nécessaires pour protéger ce droit des femmes et a expliqué les liens entre la Loi 21, l’égalité entre les sexes, et la liberté de conscience des enfants et des parents dans le cadre d’un système éducatif laïque.

Rappel historique

La lutte pour l’égalité qu’ont menée les Québécoises depuis le début du XXe siècle explique la crainte de plusieurs citoyennes et citoyens quant au retour du religieux dans l’espace public.

Avant le rapatriement de la Constitution, la notion d’égalité entre les sexes n’existait pas. Seule la notion de non-discrimination des sexes prévalait. Ce critère limitatif privait les femmes des mêmes droits que les hommes comme en font foi plusieurs décisions de la Cour suprême. Cette cour avait, par exemple, jugé non discriminatoire (i) le fait que les femmes autochtones qui épousaient un blanc perdaient leurs droits, attendu que toutes les femmes autochtones étaient dans la même situation; (ii) qu’en cas de divorce, une fermière ne pouvait pas réclamer la moitié des avoirs de la ferme, puisqu’elle ne faisait qu’accomplir le travail routinier de toute épouse; ou encore (iii) le congédiement d’une femme enceinte, puisque toute égalité entre les sexes dans ce domaine n’est pas le fait de la législation, mais bien de la nature.

Devant tant d’injustice, les féministes des années 80 ont fait valoir l’importance que soit ajouté l’égalité entre les sexes (article 28) dans la nouvelle Charte des droits et liberté lors du rapatriement de la Constitution. Ces féministes craignaient aussi les éventuels effets pervers de la nouvelle clause sur le multiculturalisme (article 27) sur les femmes vivant sous l’égide d’un groupe religieux. Ainsi, l’ajout de l’article 28 devait assurer qu’aucune interprétation ne puisse être faite qui aurait comme conséquence de maintenir les femmes dans les rôles stéréotypés dont sont tributaires toutes les cultures basées sur le patriarcat.

C’est donc dans cette optique que les féministes universalistes, dont PDF Québec, appuient la Loi 21. Elles considèrent que cette loi consolide le droit des femmes à l’égalité, en bannissant les pratiques religieuses patriarcales des officiers de l’État qui ont un rapport d’autorité avec les citoyennes et les citoyens.

 Liberté de religion et le droit à l’égalité des femmes

Me Pelchat a rappelé que la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada avait déjà identifié, en 1970, les grandes religions monothéistes comme une cause de l’infériorisation des femmes et de leur retard à jouir des avancées juridiques, technologiques, sociales et culturelles de nos sociétés. Quelques années plus tard, c’est le Conseil du statut de la femme (CSF) qui concluait que le droit des femmes à une égalité réelle posait une limite au droit à la liberté de religion. Par la suite, la Cour Suprême du Canada allait dans le même sens en statuant que la liberté de religion peut être restreinte lorsque les pratiques religieuses d’une personne causent préjudice aux droits d’autrui. [i]

Ce mouvement de fond, en faveur de l’égalité entre les sexes, se retrouve également dans les conventions internationales auxquelles nous adhérons. Ces dernières précisent que l’égalité entre les sexes ne peut être restreinte, tandis que la liberté de religion peut l’être pour protéger le droit des femmes à être traitées également.[ii] La Loi 21 offre, à cet égard, une assise juridique essentielle à l’égalité entre les sexes.

La Loi 21, l’égalité entre les sexes et la liberté de conscience des enfants et des parents

L’historique de l’adoption de la Loi 21 témoigne d’un contexte social et politique marqué par le débat sur les accommodements religieux depuis 2005. Le Québec a forgé une identité collective basée sur la protection des valeurs comme la séparation de l’Église et de l’État, la protection de son identité francophone et l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est l’approche interculturaliste du Québec, pour gérer le vivre ensemble, qui guide la Loi 21. Cette loi introduit des mesures pour préserver la liberté de religion en exigeant la neutralité religieuse de l’État et en protégeant la liberté de conscience de ses citoyens. En affirmant que le droit à l’égalité des citoyennes et des citoyens guide la Loi 21, elle s’assure ainsi que les femmes ne peuvent faire l’objet de discrimination basée sur des motifs religieux.

La Loi 21 répond aussi aux préoccupations de parents qui veulent préserver leur liberté de conscience de même que celle de leurs enfants. Les enseignantes qui contestent la Loi 21 l’ont admis : leur signe religieux sert également à exprimer des valeurs ou à envoyer un message à leur entourage. Or, des parents sont venus expliquer à la Cour qu’ils devaient taire leurs convictions profondes, à l’égard du voile par exemple, face à leurs enfants pour ne pas nuire à leurs relations avec l’enseignante. Il s’agit d’une atteinte à leur liberté de conscience. Ils demandent donc que la liberté de conscience de leurs enfants soit protégée de la transmission de valeurs, via des signes religieux, contraires à leurs convictions profondes ou encore aux valeurs préconisées dans le corpus pédagogique adopté démocratiquement.

La Loi 21 permet donc à l’État d’assurer son devoir de neutralité religieuse par l’entremise de ses employés en position d’autorité. Quand une personne travaille pour l’État, elle doit renoncer à certains de ses droits, tels que la liberté d’expression ou le droit à la vie privée, si elle est élue. Elle doit également souscrire à un devoir de réserve afin de préserver la justice, l’impartialité et la neutralité de l’État.

Tout comme les droits d’autrui ne doivent pas être subordonnés à la liberté de religion, le droit des femmes à l’égalité ne peut être évincé au profit de la liberté religieuse des personnes visées. Voilà un des effets de la Loi 21, selon Me Pelchat. Cette loi renforce le droit à la liberté de religion, en précisant les obligations de neutralité religieuses de l’État, le droit de croire et le droit de ne pas croire. Cette loi permet également de lutter contre les stéréotypes sexuels et sexistes dérivant des religions. Le droit des femmes à l’égalité ne peut plus être mis de côté au nom de la liberté de religion dans les institutions publiques.

«Il faut éviter de confondre défense des droits des femmes et défense de toutes les opinions émises par les femmes. Si le droit de choisir est un gain des féministes, tous les choix ne sont pas forcément féministes.»

Diane Guilbault, 2008 [1]


Sources : 

[1] Guilbault, Diane; Démocratie et égalité des sexes; Éditions Sisyphe, Collection Contrepoint; 2008; p. 114

[i] Notamment dans l’arrêt Trinity Western University en 2018 et l’arrêt MLQ c. Saguenay en 2015.

[ii] Voir notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 18(3)), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination sur la religion ou la conviction (Déclaration sur la Religion)