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Nadia Plaidoyer

Fonds publics destinés à la protection du discours religieux

Nadia El-Mabrouk et Marie-Claude Girard

12 avril 2022.

Alors que la loi 21 prônant la neutralité religieuse de l’État québécois continue à être la cible de toutes les attaques de la part du Canada anglais, force est de constater que le gouvernement fédéral ne brille pas, lui, par sa neutralité religieuse. La tendance est plutôt à la promotion et à la protection du discours religieux contre toute critique.

Ainsi, selon les prévisions budgétaires annoncées la semaine dernière, le gouvernement fédéral prévoit réserver 85 millions de dollars à un « plan d’action national de lutte contre la haine » pour appuyer, notamment, des projets communautaires de minorités religieuses, ainsi que 5,6 millions de dollars pour appuyer « le nouveau représentant spécial chargé de la lutte contre l’islamophobie ».

Les manifestations haineuses envers quiconque sont inadmissibles et doivent être bannies. Mais toute critique de l’islam ou de l’islamisme, ou toute limite imposée à la manifestation religieuse seront-elles considérées comme de l’islamophobie et, par le fait même, interdites? Par exemple, dénoncer le voilement des fillettes comme une pratique traumatisante et nuisible sera-t-il déclaré islamophobe et, par le fait même, censuré, comme c’est arrivé au pédiatre Sherif Emil qui a mis en cause l’utilisation d’une photo de fillette portant le hijab en couverture du Journal de l’Association médicale canadienne (CMAJ) en novembre 2021 ?

Notons que le budget fédéral prévoit dépenser 4 millions de dollars afin d’offrir à la Muslims in Canada Archive la possibilité de réinterpréter les « récits » liés à l’islam et de « permettre à la communauté musulmane forte et diversifiée du Canada de raconter ses histoires dans ses propres mots ». Est-ce que des initiatives comme #LetUsTalk lancée par la canadienne Yasmine Mohammed qui vise à libérer la parole sur les atrocités de l’islam politique notamment à l’égard des femmes seront mises à contribution ou, au contraire, bannies du discours public pour ne laisser place qu’à la valorisation du «récit» islamiste ?

Par ailleurs, si l’on se fie aux innombrables attaques appuyées par le gouvernement fédéral contre la loi 21, tout porte à croire que l’argent du contribuable placé dans la « lutte à l’islamophobie » servira à la lutte contre cette loi légitime, appuyée par une majorité de Québécois.

Et qu’en est-il des discours haineux et discriminatoires contenus dans les textes religieux eux-mêmes, contre les femmes, les apostats, les mécréants, les homosexuels, voire certains groupes ethniques ou raciaux ? Même s’il est question d’adopter une loi pour contrer les discours haineux en ligne, notamment en renforçant le Code criminel1, Justin Trudeau n’a manifesté aucune intention d’y abroger l’article 319(3)b qui offre une protection au discours haineux s’il est prononcé de bonne foi et fondé sur un texte religieux. Les propos haineux sont ainsi permis pour les croyants.

Promotion religieuse

En ce mois des rapports fiscaux, rappelons d’autres privilèges religieux financés abondement par le gouvernement fédéral. En effet, les organismes bénéficiant du statut d’OBE (organismes de bienfaisance) sont exemptés d’impôt sur le revenu, des taxes à la consommation (TVQ et TPS), d’impôt foncier et de taxes municipales et scolaires. Or, ce statut peut être attribué à des organisations qui n’offrent aucun bénéfice social autre que de « promouvoir la religion ».

Selon le gouvernement, ceci signifie « manifester, faire avancer, préserver ou renforcer la croyance dans trois principaux attributs d’une religion, soit la foi en une puissance supérieure et invisible, comme Dieu, un être ou une entité suprême; une pratique religieuse ou un profond respect; un système particulier et complet de dogmes et de pratiques2 ». Ainsi, c’est bien la religion en soi qui est considérée comme étant une activité de bienfaisance.

Pour avoir une idée de la situation, rappelons les chiffres dévoilés dans une enquête du journal Le Devoir3 : selon les données de l’Agence de revenu du Canada, il y avait en 2019 au Québec 4 330 OBE œuvrant à la promotion de la religion. En comparaison, il y avait 3 701 OBE luttant contre la pauvreté et 2 568 OBE œuvrant en éducation. Selon les recherches du professeur Luc Grenon de l’Université de Sherbrooke, les crédits d’impôt aux organismes religieux ont à eux seuls privé Ottawa de 1,57 milliard de dollars en 2007. Ces OBE religieux ont récolté en 2010 environ 40 % des dons admissibles au crédit d’impôt, et un OBE religieux sur deux a déclaré ne pas procurer de bénéfice public, toutes leurs activités étant liées à la foi et au culte. C’est le cas, par exemple, des organisations de sœurs cloîtrées qui consacrent leur vie à la prière.

Que ce soit par le biais de financement de campagnes de lutte contre la haine ou par le biais d’avantages fiscaux aux OBE, le Canada finance abondamment la promotion et le discours religieux, non seulement en ne donnant aucun avantage comparable aux organisations prônant d’autres philosophies de vie, telles les associations d’humanistes, d’athées ou autres, mais en mettant en place des initiatives visant à faire taire toute critique religieuse.

Est-ce cela la « neutralité religieuse » prônée par le gouvernement fédéral ?

 

 

Plaidoyer pour la laïcité – Nadia El-Mabrouk, allocution lors de la réception du Grand Prix 2022 de la laïcité qui lui a été décerné le 15 février par le Rassemblement pour un Pays Souverain (RPS).

Mon engagement pour la laïcité a débuté avec le projet de Charte du parti québécois. Exiger des employés de l’État de ne pas afficher leur religion dans l’exercice de leur fonction me paraissait relever du simple bon sens. Mais les attaques démesurées contre le Québec qui en ont découlé m’ont choquée. C’est ce qui m’a fait prendre conscience, après une dizaine d’années passées au Québec, du fossé qui sépare le Québec du reste du Canada en termes de valeurs, de modèle social, de modèle d’intégration. C’est là que j’ai compris l’importance de protéger le modèle québécois qui favorise une citoyenneté commune, basée sur une langue commune, des valeurs communes, un modèle très différent du multiculturalisme canadien qui, au contraire, mise sur la valorisation des différences et des particularismes religieux et identitaires.

Ce qui m’a décidé à m’engager publiquement dans ce débat c’est le fait que les plus virulents opposants au projet de laïcité du PQ étaient des musulmans et que, par ailleurs, on entendait très peu ceux qui souhaitent la laïcité et qui ont même choisi le Québec pour la laïcité.

Or, les partisans et les opposants à la laïcité ne se divisent en « Québécois de souche » et « minorités ethniques ». C’est absurde! Les débats sur la laïcité et les droits des femmes ont aussi court dans les pays musulmans. Il suffit de penser à Raïf Badawi emprisonné en Arabie saoudite en raison de ses positions en faveur de la laïcité, la liberté d’expression, les droits des femmes. La société tunisienne d’où je viens est tiraillée par des tensions islamistes auxquelles la société civile résiste, pour défendre la liberté des femmes, décriminaliser l’homosexualité, établir l’égalité dans l’héritage, permettre à une femme d’épouser un non-musulman, dénoncer le voilement des filles. Il faut savoir que le port du voile islamique a longtemps été interdit dans la fonction publique tunisienne.

C’est la raison pour laquelle j’ai trouvé important de joindre ma voix à celle de Djemila Benhabib, de Fatima Houda-Pepin, ou de mes amis de l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité, pour exprimer, en tant que Québécoise d’origine musulmane, mon soutien au projet de loi du PQ.

Pourquoi la laïcité?

Pour s’assurer que des règles religieuses n’interfèrent pas, à travers des « accommodements religieux », avec des règlements, des lois adoptées démocratiquement.

Pour respecter le contrat social qui fait que les employés de l’État, les enseignants, les policiers, sont au service de la population, et non l’inverse, et sont donc tenus de respecter un devoir de neutralité dans les faits et dans les apparences. Et plus la société est diversifiée, plus ce devoir de neutralité s’impose.

C’est aussi, pour s’assurer que nos enfants ne soient pas soumis à des pressions religieuses à l’école, à des valeurs religieuses contraires aux valeurs citoyennes que l’école se doit de transmettre, comme l’égalité entre les femmes et les hommes.

Pour que l’école ne soit pas l’écho des croyances, des dogmes et des idéologies, mais le lieu de transmission des connaissances appuyées par le raisonnement logique, la rigueur scientifique.

Pour que l’école soit le lieu de socialisation et de valorisation d’une citoyenneté commune, et non pas un lieu qui exacerbe les appartenances et les pratiques religieuses individuelles. En un mot, pour que l’école soit un lieu de liberté et non pas d’enfermement communautaire.

Les Québécois qui ont vécu avant et pendant la Révolution tranquille, savent très bien ce que signifie l’emprise religieuse, notamment celle de l’Église catholique, sur leur vie et savent très bien l’importance de la laïcité notamment pour préserver les droits des femmes. D’ailleurs le mouvement féministe au Québec est particulièrement impressionnant. Il a permis des avancées sociales uniques qui profitent autant aux femmes qu’aux hommes. Ces femmes et ces hommes connaissent le sens du mot liberté, et comprennent bien ce que leur disent les femmes venues de pays musulmans qui ont combattu l’emprise de l’islam politique. C’est pourquoi je me suis sentie en phase avec ce mouvement féministe, avec mon amie Diane Guilbault, Présidente de Pour les droits des femmes du Québec, qui est malheureusement décédée en 2020. Nous avons porté ce dossier de la laïcité dans les médias, à l’Assemblée nationale, nous avons fait entendre les voix des Québécois, de toutes origines, pour qui la laïcité est essentielle.

Mais malheureusement tout est toujours à refaire, et on continue d’entendre la même rengaine sur le fait que la laïcité serait un projet exclusivement « Blanc », de « Québécois de souche », raciste, liberticide, discriminatoire envers les musulmans. C’est absurde! Si la religion s’apparentait à une « race », à une caractéristique immuable de la personne comme la couleur de peau, alors on ne pourrait pas parler de « liberté religieuse ». Par ailleurs la Loi 21 s’applique à toutes les religions de la même façon, aux deux sexes de la même façon. S’il y a discrimination, c’est dans les règles religieuses qu’il faut les voir, pas dans la loi.

Et encore une fois, l’aspiration à la laïcité de l’État n’est pas un projet de Québécois de souche. Yasmine Mohammed, une canadienne de Vancouver qui s’est libérée de l’emprise d’une famille islamiste qui l’a voilée de force, mariée de force à un membre d’Al-Qaida, défend la Loi 21 du Québec et dénonce le fait que les musulmanes qui s’expriment pour la laïcité et contre l’idéologie islamiste et le voilement des femmes soient ignorées ou même accusées d’islamophobie. Parce qu’au Canada c’est la promotion du voile qui prime. On préfère ignorer la réalité, le fait que des femmes soient emprisonnées, tuées dans certains pays musulmans parce qu’elles ne sont pas suffisamment voilées, que des petites filles soient obligées de le porter, même ici au Canada et au Québec, interdites de faire du vélo, du sport. On préfère ignorer cette réalité et écouter plutôt celles qui nous présentent le voile comme une liberté individuelle.

Quelle sorte de liberté ces anti-loi21 veulent-ils défendre? Comment se fait-il que les chartes des droits soient maintenant utilisées pour défendre cette vision étriquée de la liberté individuelle, au détriment des libertés collectives? En fait, cette interprétation abusive de la liberté religieuse est en train de faire reculer les libertés, et de fragiliser les droits des femmes, les droits des enfants qui ne sont plus protégés contre l’endoctrinement et l’enfermement communautaire.

La laïcité de l’État est un projet progressiste, émancipateur, solidaire, porteur de valeurs citoyennes importantes. Et c’est le modèle social et le modèle d’intégration qu’a choisi le Québec. C’est un choix légitime qui nous appartient.

Je reprends la 2e raison qui est donnée sur la page du RPS, sur l’importance de l’indépendance du Québec : « Avoir la capacité de choisir nous-même les voies de notre avenir selon nos intérêts collectifs, en particulier pouvoir faire toutes nos lois. ».

Défendre notre modèle québécois de laïcité c’est donc défendre notre indépendance. On a le droit et le devoir de le faire.